« Psyche Iatreon », le Médecin de l'Esprit...Sur un linteau découvert dans les fouilles de Thèbes en Béotie,au XIX siècle,apparait ce sigle qui devait tardivement s'imposer,remplaçant celui redoutable de Médecin aliéniste ou asilaire, renvoyant à l'enfermement de l'esprit,à l'isolement de ces êtres perçus comme dangereux pour la société.
Pinel, plus tard son élève Esquirol, concepteur de la loi de 1838, ne se percevaient pas comme aliénistes, mais comme cliniciens,porteurs d'une double influence qui marquaient la connaissance de leur époque.
A: la théorie des humeurs,dérivée de la physique d'Aristote, des enseignements Galéniques qui aux quatre éléments:terre, air, feu et eau appliquent une série de qualités, dont le dérèglement généralisé ou localisé, par rupture d'équilibre est à l'origine de la maladie...
Ainsi,l a follis renvoie à une outre gonflée d'air,une sorte de montgolfière où l'imaginaire détaché du réel, altère la raison avec ou sans feu, le délire avec fièvre ou sans...
B: la Méthode anatomo-clinique, qui avec Bichât,consacre la méthode expérimentale,l'observation,les symptômes, leur cohésion,leurs rapports, amenant à une nosographie, approche à renouveler selon les progrès des sciences et des techniques.
S'éloignant de cette influence qui nous marque encore de nos jours: aspect magique, voire charlatanisme, la Maladie Mentale sortait d'un obscurantisme, pour rentrer dans la Médecine, bien avant l'éclosion des neuro-sciences.
L'œuvre de ces deux précurseurs, appelés les Pères de la Psychiatrie , ne peut se comprendre que dans une perspective d'évolution...
Au temps du Christ, la démonologie prédominait, les esprits malins pernicieux étaient l'œuvre de Satan et se rapportaient aux péchés des hommes; portés souvent par des innocents, ils reflétaient l'orgueil du péché originel, la luxure et la corruption. Le Christ renvoie un autre regard, celui de la bienveillance, de la grâce liée à la foi, autorisant la réparation, voire la guérison et dénonçant l'opprobre.
Ce sont les béatitudes et durant le Moyen-Age, le Pauvre,le Mendiant, le Simple d'esprit, le dérangé,certes inquiètent mais ils représentent la condition humaine: « la nef des fous » et se rapportent au Pardon.
C'est la position d'un Saint-Louis qui préfère la lèpre au péché mortel, refuse l'ostracisme des petits, ce beau XIII Siècle dont l'espérance de la Rédemption se lit dans le sourire de l'Ange de la cathédrale de Reims.
Au XIV siècle,la folie devient fureur et destruction; trois fléaux se conjuguent dans une atmosphère mortifère et de rejet: « la guerre, la famine et la peste »
La Mort rôde, c'est le fait de ces migrants dont le Roi de Bohème a donné des sauf-conduits,pour s'en débarrasser, de ces juifs qui empoisonnent les puits, mais aussi de ces suppôts de Satan, adonnés à la sorcellerie, à la magie, ces simples, ces fous qu'il faut tuer, brûler et ne pas enterrer en terre chrétienne.
La Peste de 1348-1350 répond aux peurs archaïques...Les béatitudes laissent la place à la vengeance. L'autre, l'étrange expose à la mort, porteur des miasmes qui assassine la chrétienté.
Ce sont ces gisants au corps décharné,tous sont frappés,riches comme pauvres, criminels ou innocents...Un seul remède et salut « Fuir, fuir , fuir, le plus loin possible la contagion.
Montaigne, Maire de Bordeaux, ne déroge pas à cet avis et il nous reste à Toulouse, l'expression qui nous vient des Parlementaires « aller de Toulouse à Rabastens »
Le diable revient et notre inconscient collectif de nos esprits raisonnables du XXI Siècle n'y échappe pas toujours. Il en est ainsi du S.I.D.A!
Le XVI Siècle apporte un vent nouveau,celui de l'Humanisme et un regard plus distancié,le grand-maître est un flamand : Jean de Veyer… Il sort des contes de sorcellerie, de l'univers infantile, pour s'intéresser aux personnes. La raison éclairée,le libre arbitre, l'observation et la critique sont appelés pour dépasser les peurs...
C'est l'époque d'Érasme, puis de Luther,engageant un changement de nos mentalités: l'homme n'est plus un instrument aveugle, soumis aux clercs, à leur interprétation de la Bible avec une acceptation passive de sa position dans la société, mais un être pourvu d'une conscience individuelle, nouvelle liberté qui implique sa propre responsabilité,opposée à la conscience collective où la communion des Saints suffisait à être sauvée...Cependant, l'homme de la Renaissance est renvoyé à une certaine solitude, une emprise personnelle qui érige le mérite en vertu, la réussite en obligation.
Le XVII Siècle, celui des grandes misères,des aléas climatiques,de la persistance de la famine,la peste et la guerre, obscurcissant l'astre versaillais, voit le renouveau de la pensée, la conquête de l'espérance par le regard envers les plus démunis, l'éclosion des sciences expérimentales et le premier Ministère Social d'un Vincent de Paul, puis l'enseignement d'un Jean-Baptiste de la Salle
Au XVIII Siècle, les trois maux disparaissent enfin (1724),du moins sur le sol Français, une aspiration se fait jour...celle du Bonheur,reposant sur la Raison et la finalité en l'Homme, détaché, détourné de tous les obscurantismes.
Accepter la condition humaine dans un abandon à Dieu, une soumission à ses lois ou instruire une lutte culminant à la révolution, dans la chimérique pensée du bonheur sur terre?
Ce questionnement va profondément influencer Philippe Pinel et à la suite Etienne Esquirol.
Philippe Pinel naît à la Jonquière,en 1745 dans l'actuel département du Tarn,proche de Lavaur. Il est issu d'une famille bourgeoise, profondément croyante, son Père,Chirurgien jouit d'une certaine notoriété,il donne à son fils une éducation classique, chez les oratoriens et les doctrinaires, il débute ensuite une formation en philosophie et théologie,dont il s'évade, sans avoir reçu ni la tonsure, ni les ordres mineurs,pour se diriger vers les Mathématiques ,puis la médecine 1770 1773 à Toulouse, complétée par une année à Montpellier, avant de gagner Paris.
C'est à l'hôpital de la grave qu'il verra pour la première fois des malades mentaux enchainés, en raison de leur dangerosité!
Cette double inclinaison, le Divin et la Raison,au travers d'un esprit mathématique et rigoureux,marque profondément le jeune homme; la bienveillance, le non renoncement à l'effort,l'observation, la critique et l'ébauche d'une méthode,basée sur l'observation, la recherche de l'égalité, amène un esprit de système que l'on retrouvera dans sa nosographie 1800,précédée de son analyse médico-philosophique 1798.
A,Paris, les débuts sont difficiles,se faire une clientèle sans réseau est un long procédé, il donne des cours de Mathématiques, continue à s'intéresser à la zoologie étudiée à Montpellier, consacre son temps à différentes traductions, puis s'initie aux travaux de Mesmer « le baquet magnétique » ou magnétisme animal (Charles Delson), trouve un emploi à la maison de santé du Docteur Belhomme où il se lie d'amitié avec Cabanis, habitué du salon de Madame Helvétius qu'il fréquentera …
Cette rencontre avec ceux que Napoléon appellera les idéologues, hommes de raison et de système, contredits à l'issue de la Révolution par l'extrême complexité de la nature humaine, lui apporte une réflexion philosophique qui marquera son œuvre... Napoléon, homme d'action,privilégie l'intuition, reposant sur l'analyse et l'émotion...
Il accueille la Révolution avec enthousiasme,mais s'en détournera en raison de ses excès, en faisant preuve de prudence. En 1793, le 25 Août,il est nommé par la commune insurrectionnelle de Paris, médecin des Aliénés à Bicêtre. Il y observe les pratiques de Jean-Pierre Pussin, surveillant général qui développe le « Traitement Moral » faisant appel à la bienveillance . C'est à Bicêtre que sera procédé la suppression des chaines, attitude reprise à la Salpétrière..
En 1795,il devient médecin en chef à la Salpétrière et sollicite la venue de Pussin qui n'arrivera qu'en 1802,leur collaboration perdurera jusqu'à la mort de ce dernier, survenu en 1811.
En 1798, il publie Maladies Mentales ou Vesanies, classification établie selon les principes botaniques, en 1801,son traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale.
En résumé, il considère 4 grandes classes, avec aspect froid ou fébrile…
I La Mélancolie ou Délire Partiel
II La Manie, Délire actif
III Les Démences: affaiblissement intellectuel généralisé
IV L'Idiotisme
Pour Pinel, l'aliéné est un Sujet, il faut connaître son histoire, son environnement, ses relations,ses apprentissages, ses difficultés,le moment de leur survenue. Cela est nécessaire à la mise en place d'une thérapeutique adaptée à chaque cas...
La Vésanie est une pathologie liée aux dysfonctionnements des émotions.
Ainsi,il est le Père de la psychothérapie Morale, mettant en exergue pour l'amélioration et la guérison de l'importance de la Parole bienveillante et du travail...Il souligne que les travailleurs manuels parviennent mieux que les intellectuels ou les oisifs rentiers à sortir de processus délirants.
Il supprime les saignées et nombre de médications inutiles...
Il sera comblé de bienfaits sous l'Empire,tenu quelque peu en suspicion sous la Restauration,
Médecin ordinaire de l'Empereur, membre de l'Académie des Sciences dès 1803, titulaire de la Chaire d'Anatomie comparée au Jardin des Plantes, voilà quelques uns de ses titres
Pinel meurt en 1826 et est enterré au Père Lachaise.
Son œuvre est considérable, le Patient est une personne,un sujet et non un objet de rejet ou de peur, la parole et l'attention améliorent le malade, la bienveillance amène la considération de soi et des autres,la psychiatrie entre dans la Médecine; l'hygiène de vie, l'alimentation, le travail régulent les émotions.
Pinel est un pur produit des lumières, sur une assise imprimée par les doctrinaires, conciliant ses divers apprentissages, sans ostracisme ou rejet.
C'est un classique, il fait preuve de mesure,ne s'autorise pas à des théories fumeuses, malgré sa proximité avec les idéologues, il s'en est détaché, privilégiant l'observation à l'intellectualisme.
Étienne Esquirol, son meilleur disciple continue et prolonge son œuvre. Il demeure dans nos mémoires,comme le promoteur de la Loi de 1838, qui sera
le socle institutionnel de la psychiatrie pendant quelque 150 ans, mais il n'est pas que cela; travailleur infatigable, clinicien hors pair, ses observations sont remarquables, la finesse des perceptions, l'intensité des émotions, il les devine par intuition et sait comme pédagogue, les insuffler à ses innombrables élèves...Falret, Voisin, Pinel-Grandchamp, Moreau.
Jean Étienne Dominique Esquirol est né à Toulouse le 3 Février 1772, à la place éponyme. Son Père riche négociant occupe une position honorable et parvient au capitoulat en 1787.Il reçoit, à l'instar de Pinel une éducation classique. Après ses premières études qu'il termine au Séminaire de Saint-Sulpice, il retourne à Toulouse, commence sa carrière médicale comme aide-major à l'hôpital de la Grave. Plus tard, il reçoit une commission d'officier de santé, à l'Armée des Pyrénées orientales 1793-1795 et est admis en l'an III comme élève du gouvernement, à l'école de Montpellier. Il y est deux fois couronné en l'an VI 1798.
« En l'an VII , il est à Paris, il y arrive pauvre comme Portal, comme Vauquelin, Dupuytren,de cette pauvreté ferme et courageuse qui recherche la science », nous dit M de la Palme...
Il suit les cours de l'école de Médecine, du jardin des Plantes et surtout de la Salpétrière, où il est l'élève préféré de Pinel. Il aurait pu suivre une autre voie, plus rémunératrice et mondaine auprès de Corvisart, dont il est proche, mais décide de se consacrer aux aliénés.
En 1805,il soutient sa thèse où se perçoit déjà sa thématique;au delà des analogies et des différences, de la diversité et de la spécificité de chaque malade, l'origine de la Maladie Mentale réside dans la folie des Passions; le pauvre aliéné, à l'entendement faible, à la raison absente, à l'intelligence obscurcie mérite notre compassion; il nous faut nous distraire de railleries moqueries,relever la dignité du Malade.
En 1810,il remplace Pinel à la Slpétrière, en 1817,il ouvre un cours, les élèves se bousculent, il modifie la classification de Pinel en la complétant par ses observations minutieuses, distinguant des formes cliniques plus abouties, ainsi les différentes formes de mélancolie, la lypémanie, surtout, il sépare hallucinations et illusions et découvre la Trisomie 21.
Il diffère de son Maître quant au traitement, la parole bienveillante ne suffit pas, il faut parfois appliquer la méthode forte, pour tenter de soustraire les malheureux à leurs passions, leurs folies de l'Imaginaire,les mettre en situation de réalité, les y maintenir, les y obliger, il alterne punitions et récompenses, mais refuse l'indifférence ou le laisser-aller.
Cette conviction qu'une guérison,à terme est possible est la base de la loi de 38, analyser, isoler,enfermer les patients, les soustraire à leurs familles, à la raillerie en milieu rural où l'innocent subit les quolibets est sous-tendue par l'idée de progrès, de croyance en la science balbutiante et débutante.
La Loi institue les différentes formes de placement,codifie les soins, donne à l'autorité préfectorale pouvoir sur les familles,éloigne de la société, pour l'en préserver ces êtres qui font peur et rappellent une hérédité douloureuse...
Elle institue dans chaque département la construction d'un hôpital dont le prototype, reste celui de Marchant à Toulouse. Au centre une église à deux nefs pour les hommes et les femmes, un cloître, entouré des bâtiments administratifs et généraux,avec des pavillons disséminés dans un espace de salubrité, aménagé avec ferme et ateliers, la religion et le travail, nécessaires pour réduire les passions, restaurer un espace mental et affectif, permettant une vie sociale avec hygiène de vie, alimentation saine et équilibrée, traitement par opiacés, plus tard faradisation...
Montalembert et Victor Hugo seront à la Chambre des Pairs, les rapporteurs de cette Loi. Ils se félicitent de cette immense progrès de l'humanité, espèrent des résultats probants et des découvertes scientifiques, rendues possibles par la concentration des malades, mais aussi moins de violence dans la société...
En 1825, Esquirol remplace Royer-Collard à l'asile de Charenton, il y restera jusqu'à sa mort survenue en 1840, il y élaborera l'essentiel de ses ouvrages.
Esquirol est profondément marqué par le mouvement romantique, il admire Delacroix et Géricault, mais son époque est aussi rupture, l'éclosion d'une nouvelle ère industrielle,passage d'une société rurale où le temps long domine, la révolution des transports institue d'autres modes de vie et de pensées, non sans résistance....
R. Mosnier